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LE MEUNlER DE LESVENN
Il était toujours joyeux, chantait comme son moulin
dans la douce vallée.
O va doue benniguet
Pebez torrad filiped!
Peoh! Hoaz e vo
Ma chom ar re goz beo
(O Dieu béni quelle couvée de moineaux ! Paix! Il
y en aura d'autres si les vieux restent en vie.)
Et il riait Per Terrom! Son rire, on eût dit un
gargouillis sonore, strident, dont l'écho se répétait
moult fois en aval, en amont.
Toujours des plus serviables, il était aimé de tout
Plouguin. Son travail, il le faisait à merveille.
Comme tout meunier qui se respecte, il avait plusieurs
tours dans son sac. Quand survenait quelque
chose d'insolite, les vieux accusaient Paotred ar Zabad,
mais les jeunes disaient : " C'est un coup de Per Terrom"?
Il était au mieux avec son propriétaire le seigneur
de LESVENN, très brave, mais gérant mal ses affaires,
souvent à court d'argent.
La distraction principale du meunier : la chasse!
Il en était devenu, dans toutl le canton, le champion
incontesté. A toutes les veillées, même à Guipronvel
et à Portsall, on racontait ses prouesses: " Dimanche,
il a pris dix lièvres, douze lapins et trois renards
Il ne court pas après le gibier, Pr Terrom. Il l'attend
dans un coin en fumant la pipe. Il doit jeter un sort
sur les bêtes. Ce n'est pas possible autrement.
Le seigneur de Lesvenn, lui, avait trop bon coeur
pour être jaloux. Au contraire il était tout fier de
son meunier
Un jour, pour être précis, c'était le Mardi gras, fit
annoncer qu'il viendrait déjeuner au château de Lesvenn,
un seigneur de Saint-Pabu.
J'ai eu envie de changer, de dire qu'il venait d'ailleurs.
Ca me fait de la peine d'entendre chaque fois
qu'il arrive un coup dur à Plouguin : " C'est de la
faute de quelqu'un de Saint-Pabu." Il est vrai que
l'inverse se réalise également. C'est seulement pour
choisir de jolies filles que d'un côté comme de l'autre
on ne regarde pas les frontières.
"Foutré ! dit le seigneur de Lesvenn, je n'ai rien
dans mon garde-manger. Je vais voir Per Terrom.
-- Ah ! vous tombez rudement bien, Monsieur. Une
bande de perdrix vient de passer. Un coup de fusil
et vlan! dix-huit par terre! Prenez-les.
-- Ah ! mais je te les paie.
-- Pas question! Dans une heure, une autre bande
passera et j'en fais mon affaire! "
Le seigneur de Saint-Pabu, glouton, se régala.
Celui de Lesvenn lui raconta la chasse prodigieuse
de son meunier. Quand, l'estomac est plein, le coeur
se dilate. Le seigneur de Saint-Pabu, n'était qu'un ogre
sans pitié. Pas étonnant qu'il fût honni de tous ses sujets !
Il fronça ses noirs sourcils :
" Vous avez des dettes très lourdes à mon égard,
monsieur. Si j'alerte la justice vous êtes ruiné. Moi
aussi, je suis bon chasseur mais si je ne prends
plus beaucoup de gibier, c'est que ce manant, ce vaurien
de meunier le massacre. J'exige, monsieur, j'exige
que ce meunier quitte à jamais, dès ce soir, votre
moulin. A bon entendeur, salut! "
Le bon monsieur de Lesven pleura. Il avait beau
avoir la réputation d'un saint et l'être sans doute, il
ne pouvait pas acculer sa famille à la ruine.
Per Terrom le comprit d'ailleurs. Il allait se lever
pour atteler ses chars quand brusquement les yeux
du seigneur da Lesvenn se levèrent, devinrent immobiles.
" Monsieur, monsieur!... "
Le seigneur revint à lui.
" Ah! mon pauvre Per Terrom J'ai vu ton avenir.
Malheur sur malheur. Tu vas mourir pauvre, tes enfants
encore plus pauvres, les petits-enfants encore
plus dans la misère. Puis ce sera une remontée spectaculaire,
pour les autres descendants... une richesse
fabuleuse. "
Per Terrom prit un petit moulin qui devait, en
d'autres mains, grâce au courage, à l'intelligence créatrice
de ses meuniers, connaître grande vogue : Pont-Ours
En ce temps là, il était pauvre, très peu fréquenté.
Per Terrom se lamentait:
- Me zo bet e Lesvenn
- El leh ma raen bleud eus a vrenn
- Breman oun deut du Bondourz
- D'ober brenn war va ourz.
(J'ai été à Lesvenn où avec du son je fabriquais de
la farine. Maintenant je suis venu à Pontourz pour
fabriquer du son, abandonné, seul.)
Sa femme mourut, laissant huit enfants encore
tout jeunes.
Per Terrom se remarie à une fille de Ploumoguer,
s'installe là-bas à Milin-Vihan.
Le malheur l'y poursuit. Il perd la même année
neuf étalons.C'est la ruine. Ils vendent la ferme dont
ils étaient propriétaires à Kerdavezan en Plouarzel.
Les acquéreurs y feront tôt après une riche découverte :
deux auges remplies d'or.
Jamais il n'eut de chance, le pauvre Per Terrom.
Il mourut dans la misère et pourtant toujours éclatait
son rire sonore. Malgré tous leurs efforts ses enfants,
ses petits-enfants ne réussirent pas du tout mieux que lui.
La prédiction du seigneur de Lesvenn s'est totalement
réalisée. Les descendants actuels de Per Terrom
ont fait fortune et leur richesse ne cesse de s'accroître.
Je puis vous garantir qu'ils ont de quoi acheter le
château de Lesvenn.
Légende? Il est des récits historiques qui sont faux
et des légendes qui sont vraies.
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HURKAN
Décidément rien n'allait plus au gracieux monas-
taire de Locmajan en Plouguin. Deux cuisiniers l'autre
jour, au lieu de préparer la soupe, s'en étaient allés
courir la campagne. Un autre, réputé sérieux, chantait
l'autre soir, une "sône " d'amour. Même parmi ceux
qui se livraient à l'étude des Saintes Ecritures écla-
taient de violentes querelles.
Le bon Saint Majan, qui avait pourtant une longue
expérience, n'y comprenait rien. Il sentait qu'une sorte
de raz-de-marée diabolique menaçait son monastère,
que Paolig le démon s'était faufilé dans l'enceinte
sacrée. Où se cachait-il?
Pour y voir clair il fit appel à un aveugle dont la
sainteté s'était déjà manifestée en maintes circons-
tances dans tout le pays du Léon : Saint Hervé. Paolig
en avait une peur terrible. Il avait dû renoncer à le
troubler dans son ermitage de Lanrivoaré. Le cantique
si mélodieux, si rempli de confiance en Dieu, " Jezuz,
pegen braz ve " composé et chanté de façon suave par le
barde aveugle, provoquait chez le prince des ténèbres
des rages de fureur.
Saint Hervé répondit aussitôt à l'appel de son ami
Saint Majan. Il était bien plus fort que le sourcier de
Kerlumbarz, Saint Hervé! Pas besoin de baguette ni
de pendule pour déceler sur-le-champ que Lucifer était
là, au monastère, sous forme humaine.
Le saint aveugle, rempli de lumiere divine, aurait
bien pu foncer tout droit sur Paolig.
Mais c'était un malin, Saint Hervé, comme tous les
vieux saints de chez nous. Avant de chasser le démon
il valait mieux constater, pour mieux les réparer, les
dégats causés par lui dans les âmes.
Saint Hervé se fit présenter un à un tous les habitants
du monastère. Dès qu'il se rendit compte qu'il
était menacé d'être pris au piège, Hurkan, qui s'occupait
des vaches, voulut sortir sous prétexte d'aller
voir les bêtes. Le portier lui fit connaître les consignes
formelles interdisant absolument toute sortie.
Hurkan essaya de se cacher dans un tas de bois, mais
un loustic de moine le dénicha, l'amena devant Saint
Hervé qui avait interrogé tous les autres.
" Je l'ai trouvé caché dans un tas de bois.
-- Tu mens, je suis allé prendre de quoi cuire le
podad et la meule de fagots s'est effondrée.
-- Qui es-tu? lui demanda sêchement Saint Hervé
en se caressant la barbe.
-- J'ai nom Hurkan. Je suis natif d'Hibernie. J'ai
quitté mon beau pays pour aider les moines dans
l'évangélisation de 1'Armorique. Je leur rends de grands
services. Je suis charpentier, maçon, serrurier, bon
pilote. Ici, on n'a pas, hélas ! reconnu mes hautes capa-
cités et on m'a chargé des douze vaches !
-- Eh ! bien, lui lança d'une voix forte Saint Hervé,
puisque tu es si habile et si universel, imprime du
doigt le signe de la croix là, sur le pavé, et adore
Jésus-Christ crucifié.
Hurkan fit un bond en arrière, voulut prendre la
fuite. Saint Hervé, l'aveugle, voyait très bien les êtres
surnaturels. D'un bond, lui aussi, il fut sur Hurkan,
le terrassa...
" Avoue ! Avoue ! C'est toi le suppôt de Lucifer, c'est
toi qui sèmes ici la division, le désordre, le mépris
de la règle, de l'amour fraternel... "
Les moines, tous les habitants du monastère, accoururent.
Hurkan, debout, les yeux pleins de flammes
de l'enfer, hurla :
" Oui, C'est moi qui ai combattu ici l'esprit de
l'Evangile, c'est moi qui ai mis dans le coeur des moines,
le doute, le mépris de leurs supérieurs, la méfiance
à l'égard des autres, la haine. J'ai essavé par deux
fois de mettre le feu aux granges. Mon action s'est
étendue à l'extérieur, C'est moi qui sème la discorde
dans la région de Lokmajan, c'est moi qui ai poussé le
meunier de Tanné à quitter sa femme, c'est moi qui ai
signalé à mon patron des enfers, la beauté extraor-
dinaire, si pure de Mona de Meznaod. C'est sur mes
indications qu'il a essayé de l'emporter. Vous tous
qui travaillez pour étendre la foi à Celui qui est mort
Sur la croix, tous et toi surtout l'aveugle qui le chantes
si bien, je vous hais! "
Des moines bien bâtis voulurent se jeter sur lui,
l'étrangler.
" Non, leur dit Saint Hervé. Mettez-le simplement
à la porte du monastère..."
Mais le portier avait sonné le tocsin. Puisqu'on le
sonne pour le feu, on peut bien le sonner quand on
découvre celui qui entretient le Feu éternel!
Tous les habitants des villages voisins accoururent.
Ils se précipitèrent sur Hurkan, l'entrainèrent jus-
qu'au nord de Trouzilit. Là, du haut de la falaise
ils le précipitèrent dans 1'Aber-Benoit. Il y eut alors
un fracas épouvantable, un éclair fulgurant, une sorte
de tremblement de terre. Un rocher sortit des entrailles
de la terre. Il existe toujours, noir, lugubre
dans le chenal. On l'appelle Roh an Diaoul : le rocher
du Diable. Les ans, les vagues furieuses, les marteaux
des piqueurs ont essayé de l'entamer. Rien à faire.
Roh an Diaoul demeure intact toujours aussi sombre
au-dessus des flots verts de la plus belle rivière du
monde...
Les pêcheurs de Tréglonou prétendent qu'au clair
de lune ils voient souvent à son sommet un vieux
hibou qui hulule : Hurkan! Hurkan!
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Saint Guénolé
Plouguin, dans la geste des vieux saints bretons
(par Albert Le Grand -1636-)
"Fragan et Guen, se retirèrent en
leur gouvernement et bâtirent, en la paroisse de Ploukin,
diocèse de Léon, un beau château qui, du nom
de la dame, fut nommé Les-Guen où ils firent leur
nécessaire résidence. La seconde année de leur mariage
Dieu leur donna un beau fils que Guen mit au monde
au dit château de Les-Guen et fut nommé, sur les
sacrés fonds Guennolé, c'est-à-dire en langage breton
" Il est tout blanc" nom qui semblait présager
combien grandes devaient être la candeur, la sincérité
et l'innocence de sa vie.
(Gwen ayant eu trois enfants, la tradition rapporte qu'elle
avait trois seins)
" Il fut soigneusement instruit et élevé en la maison
paternelle jusques à l'âge de douze à quinze ans. Son
père voulut le mener à la cour du roi et le faire
dresser aux armes, prétendant en faire un capitaine,
mais le bienheureux enfant avait conçu un autre dessein
bien contraire à celui de son pére, savoir de vivre
en quelque austère religion et s'y vouer entièrement
au service de Dieu: pour à quoi parvenir plus aisément
il s'adonna à l'étude des saintes lettres, mais
son père, persistant en sa première résolution de le
mener en cour, le saint eut recours à l'oraison, suppliant
notre Seigneur de le favoriser en son saint et
louable dessein. Sa prière fut exaucée, car son père
allant un jour par pays, bien accompagné, fut
subitement accueilli en rase campagne d'un orge si
violent qu'en moins de rien, lui et sa compagnie furent
tous en eau, mais ce qui plus étonna Fragan fut un
horrible tonnerre qui effroyablement brûlait sur sa tête
avec des éclairs s'entre-suivant si fort qu'il ne pouvait
remuer de ce lieu. Se voyant en un péril si éminent
il se recommanda à Dieu et, se souvenant qu'il avait
dissuadé son fils de se faire religieux, promit que ,s'il
échappait à ce danger, non seulement il n'empêcherait pas
mais même il induirait son fils à la vie monastique
Ce voeu fait, l'orage cessa et il poursuivit son chemin
et il se rendit au logis.
" La bonne dame Guen et son fils Guénolé étant
venus au devant de Fragan, après les caresses accoutumées,
entendirent de lui tout le succès du voyage et
le voeu qu'il avait fait., ce dont la bonne mère et son
fils remercièrent Dieu, et , peu de temps après, Fragan
mena son fils à un saint ermite nommé Corentin qui
vivait en sainteté sous une montagne nommée Menez
Cosm en la paroisse de Plouvodiern"
" Un jour saint Gwennolé étant par permission
de saint Corentin, allé voir son père qui était pour
lors en Léon, certains pirates païens, que Fragan avait
chassés de Léon, du temps du feu roi Conan, revinrent
en plus grand nombre, résolus de prendre terre
et s'y habituer. Leur flotte ayant paru en mer, l'alarme
se donna à la côte et Fragan, ayant ammassé une
petite armée à la hâte, encouragé par saint Guennolé,
marche vers le rivage de la mer pour empêcher
l'ennemi de descendre et, étant en la paroisse de Guic-Sesni,
près Lavengat, ils aperçurent la flotte ennemie
en rade, si épaisse que les mâts de navire semblaient
représenter une forêt, ce qu'étant vu par le conducteur
de l'avant-garde, il s'écria " Me a vel mil guern ",
c'est-à-dire je vois mille mâts de navires. En mémoire
de quoi, après la bataille fut dressée en ce lieu une
croix qui encore à présent s'appelle Kroaz ar mil
guern... Après la victoire, Guennolé exhorta son père
et les chefs de l'armée d'employer le butin pris sur
les ennemis pour bâtir un monastère en l'honneur
de la sainte croix au même lieu où fut donnée la
bataille qui s'appelait an Izel-Vez, en la paroisse de
Plounévez, ce qui fut fait et fut nommé Loc-Christ...
" Saint Corentin bénit saint Guennolé et le désigna
abbé du nouveau monastère de Land-Tevennec ou
LandeVennec que le roi Gradlon avait fait bâtir sur
le bord de la rivière de Aône et Castellin."
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Histoire de Saint Majan
Saint Hervé découvrit "une semblable fraude" au monastère de Saint
Majan: car l'estait allé voir, par le commandement de Dieu , que l'ange
luy avait manifesté, il eut révélation que parmy les domestiques de ce
saint abbé, il y avait un diable en forme humaine, ce qu'il manifesta à
Saint Majan, lequel ayant fait venir tous ses domestiques, les présenta
à Saint Hervé, les faisant passer tous un par un devant luy.
Le saint les interrogea tous de leur nom, leur pays et leur vacation; le diable
craignant de se présenter devant le saint retarda tant qu'il pût, enfin il luy
fallut paraître: "J'ay nom Hurcan dit-il, natif d'Hybernie, je suis bon charpentier,
masson, serrurier et bon pilote, et n'y a guères de mestiers que je ne puis exercer"
"Et bien ,dit le saint, puisque tu es si habile et universel en tous mestiers,
imprime du doigt le signe de la croix en ce pavé et adore Jésus-Christ sacrifié".
Le misérable s'en voulut fuir et se cacher; mais Saint Hervé l'arresta et dit
à Saint Majan "Et bien, voyez-vous maintenant de quels serviteurs vous vous
servez. Mesnons-le à votre voisin l'abbé Saint Geldouin, pous sçavoir de luy
ce que nous en ferons"
Ils le menèrent donc, où ayant esté conjuré et ayant confessé qu'il estait dans
le monastère pour tromper et séduire les Moynes, on lui deffendit, de la part
de Dieu, de se trouver là, et fut précipité dans la mer.
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Histoire de Clervie
" Une des soeurs de Saint Guénolé, chassant un jour
des oies sauvages par la cour du château de Lesguen,
une de ces oies lui tira un oeil de la tête et
l'avala. Cet accident attrista fort ses père et mère.
Saint Guénolé, étant en oraison à son monastère, fut
averti par un ange de ce qui se passait chez son père.
Il s'y en alla en toute diligence et l'ayant consolé
empoigna l'oie, lui fend le ventre, en tire l'oeil et le
remet en sa place et faisant le signe de la croix
dessus, le rendit aussi clair et beau que jamais."
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LA CHEVRE BLANCHE DE KEROZAL
Certes il est encore ravissanl le vieus manoir de
Kerozal, avec son portail gothique, ses fenêtres à croisées
qui semblent se moquer de la symétrie, sa tourelle,
son Puits circulaire. Avec quelques réparations
et son magnifique environnement d'autrefois, Kerozal
redeviendrait un joyau.
Kerozal veut dire métairie du château. Devait se
trouver tout à côté le castel de Lesvenn. A sa des-
truction le manoir des fermiers prit grande impor-
tance, devint demeure seigneuriale, blasonnée d'or.
Olivier De Campir l'habitait en 1443
Quittons l'histoirc pour entrer dans la légende.
Il y a bien longtceps dc cela vivait à Kerozal une
grande dame toute maigre et bien aigre. A cause de
sa fortune, elle avait réussi, sur le tard, à trouver un
mari, un " pourkez " noblaillon de Saint-Pabu, qui
dépérit bien vite en sa morne et stricte compagnie.
Il mourut. La population de Plouguin voulut le mettre
au rang des martyrs, nais le prieur de Coat-Meal
opposa sous prétexte qu'il n'avait pas été assez regulier
dans le versement de ses redevances.
Ildut de Kerozal fut le seul enfant de ce mariage.
Sa mère, comme poussée par le désir de tyranniser,
en fit son esclave, sous le prétexte de l'élever conformément
à son rang. Ildut ne put jamais s'amuser avec
les enfants du voisinage, courir avec eux les bois,
les belles vallées de Plouguin. Toujours tirée à quatre
épingles, toujours suivi dans ses moindres déplacements
par un vieux moine à la bure délavée, Ildut se
morfondait, mais se soumettait sans jamais rechigner.
Il devint beau garçon de vingt ans. Le moine mourut.
Par mesure d'économie, il ne fut pas remplacé.
Plus de service religieux à Kérozal.
Tous les dimanches et jours de fête, fut attelé le
carrosse le matin pour la grand-messe, l'après-midi
pour les vêpres.
Ildut en fut ravi. Ravi, il allait sans tarder, l'être
encore bien plus!
Plouguin de ce temps-là était un bourg résidentiel,
bien plus que Gwitalmézeau.
Y vivaient en des luxeuses demeures de hauts dignitaires
des maisons nobles, des agents d'affaires, les
notaires du prieuré de Coat-Méal, de la maison de
Kerleg, du Chastel. Si bien que les filles de Plouguin,
qui ont aujourd'hui si bonne réputation, contaminées
par une trop grande aisance, passaient pour être un
peu trop délurées. Mais tous les auteurs anciens les
plus sérieux sont unanimes à reconnaître qu'elles
étaient comme maintenant très jolies.
Catherine Mabis, dis-huit ans, perle de beauté, le
sachant fort bien, était la fille unique du fermier
général de la vicomté~ de Coat-Méal. Son père ne pensait
qu'argent, affaires rentables. Sa mère, qui avait
autrefois tenu une auberge à Recouvrance, adorait sa
fille, lui passait tous ses caprices, lui communiqua
surtout sa roublardise.
Mais au lieu de penser à rouler quelque marin,
Cathrrine, très ambitieuse, visait beaucoup plus haut.
Elle assistait, bien sûr, elle aussi à la grand-messe
et aux vêpres. Les femmcs vont là où elles peuvent se
faire admirer.
Catherine, épanouie, en ses seyants atours, attira
fatalement l'attention du jeune seigneur De Kérozal.
Elle arriva très vite à saisir l'un des regards qu'il lui
jetait à la dérobée. Audacieuse, elle lui répondit par
un sourire ravissant et plein d'éloquence.
La foudre a parfois endommagé le clocher et l'église
de Plouguin. Le sourire de Catherine Mabis provoqua
bien plus de dégâts. Il fit s'écrouler l'empire de la
dame De Kérozal sur l'âme de son fils.
Aux vêpres de Plouguin, bientôt les oeillades des
deux jouvençaux furent plus nombreuses que les G1oria
Patri.
Vite ce fut le besoin d'intimité. De jour c'était impossible.
La nuit a été créée par Dieu pour favoriser
les amours. La dame De Kérozal, qu'il ne pouvait être
question de mettre dans la confidence, exigeait que son
fils se couchât tôt. Quoi de plus facile, lorsque tous
dormaient dans le manoir, que de sauter par une
fenêtre, d'aller rejoindre la belle dont la chambre
donnait sur un grand jardin très discret. Les rendez
vous se déroulèrent plusieurs fois sans incident.
Un soir, stupeur d'Ildut! A l'entrée du pont que
vous connaissez tous, une chèvre blanche, les cornes
basses, prête à foncer, lui barra le passage. Le noble
chevalier dut se battre, dut mettre toutes ses forces
dans la bataille pour franchir le pont. La chèvre le
suivit jusqu'à la croix du bourg en bèlant. Il n'en dit
rien à Catherine. A son retour, la chèvre l'attendait sur
le pont, le laissa passer, l'accompagna, toujours bèlant
jusqu'au portail du manoir.
Plusieurs nuits, les mêmes évènements se reproduisirent,
absolument identiques :
"Que t'arrive-t-il, Ildut? Depuis quelque temps
tu n'es plus le même. Tu es nerveux, tu sembles très
préoccupé. Quelqu'un voudrait-il mettre obstacle à
notre bonheur? "
Ildut raconta ce qui se passait.
" C'est de la sorcellerie, lui dit la belle. Quelque
jaloux veut nous perdre. Défends-toi ! Voici un pistolet
que j'ai pris dans l'armoire de mon père. Tue-moi
cette chèvre, le dernier obstacle à nos amour ! "
A son retour, la chèvre était là sur le pont. Elle
n'était pas menaçante. Elle l'accompagna en bèlant.
Il ne tira pas.
Le lendemain soir, la tempête faisait rage. Il faut
autre chose pour arrêter un amoureux. Sur le pont,
la chèvre blanche bondit sur Ildut, Il essaya vainement
de s'en défaire. Essoufflé, au comble de la
colère, il prit le pistolet, tira... Il y eut un éclair, un
fulgurant coup de tonnerre et une plainte immense
que prolongèrent tous les échos. Le rendez-vous en
fut gaché. Ildut ne pouvait se défaire d'une angoisse
tenaillante, mystérieuse.
Il s'en retourna, seul cette fois, sous la bourrasque.
Très difficilement il trouva le sommeil.
Au matin il fut brutalement réveillé par d'horribles
cris lugubres. Une servante venait de découvrir la
dame De Kérozal étendue sur le parquet de sa chambre,
autour d'elle une mare de sang noir. Sa poitrine
avait eté traversée d'une balle. Portes, fenêtres
étaient closes, aucune trace d'effraction!
Ildut De Kérozal dut se rendre à l'évidence. C'est
sa mère qui se métamorphosait en chèvre. Il l'avait
tuée. Jamais plus il ne voulut revoir la fille du fermier
général. Il tint à expier un crime dont il n'était pourtant
pas coupable. Il fit bâtir à Kérozal une chapelle
dédiée à Notre-Dame de la Pitié. Elle a disparu. Mais,
près du pont rustique, un calvaire des plus curieux
rappelle aux passants le souvenir de la chèvre blanche.
Qui retrouvera la vieille romance de Plouguin, la
"gwerz " de la chèvre b!anche?
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Saint Hervé avait établi son ermitage à Lanrivoaré
Sainte Rivanon, mère de Saint Hervé aurait eu son ermitage à Larivanan
Saint Guénolé, premier abbé de Landévennec, né en 416, était le fils de
Fragan et Gwen, originaires de Grande Bretagne, et établis à Lesven en 412.
Sainte Clervie était la soeur de Saint Guénolé. Ses frères avaient nom Saint Jagu et Saint Guélénoc
Saint Majan, né en Grande-Bretagne, perdit sa mère lorsqu'il était petit.
Il vint en Bretagne avec son père Tugdonius, son frère Goueznou et sa soeur Tudona.
Il débarqua à Brest vers 620 puis vint établir son ermitage à Lokmajan
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Saint Majan
(chanoine Elies)
" Magan, 18 ans, arrive de Grande-Bretagne Vers 620
Il débarque à Brest avec son père Tuydonius, son frère
aïné, Guesnou, et sa sceur Tuydona, qui entra au monastère
de Lok-Ronan ar Fang. Il établit son monasère,
au bord de 1'Aber-Benniget. Ce monastère eut
notoriété des siècles durant. Saint Guesnou, satisfait de
cette construction, demanda à Majan d'établir les
plans du monastère qu'il voulait faire construire à
Gouesnou. "
Voici ce qu'on trouve dans les archives paroissiales
de Plouguin.Ces renseignements viennent peut-être de
Landévennec, peut-être du moine Ingomas qui s'est
beaucoup penché sur l'histoire de Plouguin, donc aussi
de Lok-Magan (nom primitif).
La tradition locale fait débarquer saint Majan et:
saint Gouesnou à Bro-Ennou en Landéda.
La plupart des érudits bretons d'aujourd'hui
soutiennent que les sanctuaires dédiés à la Trinité sont
les plus anciens... Le tableau de la Trinité, enlevé de
la chapelle de Lokmajan pour être mis en sécurité dans
l'église paroissiale de Plouguin, est une sorte de témoignage
en faveur du caractère très antique de Lokmajan.
Il ne serait pas étonnant que du temps du roi
Fragan, un lieu de culte se soit établi là, près de la
mer. La chapelle aurait pu, en même temps, -- ce qui
n'était pas rare -- être un fort de défense.
Deux cents ans après, saint Majan serait venu dans
un pays pacifié, établir un monastère.
La légende encadrait bien vite nos saints bretons.
nos ancêtres voulaient sans doute sur ce point, rivaliser-
avec les gens du midi.
Partout le merveilleux , s'est mélé au réel.
au XX ièm siècle héros ou vedette y sont enluminés.
"Saint Majan fut en grande faveur en son entourage
où plusieurs tenaient encore aux usages païens.Non
loin, au haut du village de Lannalouarn, tout près
de la table de pierre, il y avait un temple bâti pour le
culte d'Isis et de Teutates, divinités privilégiées des
Gaulois et où les Romains avaient placé une statue de
Mars. Accompagné de ses moines, saint Majan, d'un
pas assuré, marche vers le temple de Lannalouarn.
Arrivé là, il s'arrêta, leva les yeux vers le ciel, la main
tendue vers le temple. Il fit le signe de la croix, ordonna
aux idoles de descendre. Elles roulèrent à ses pieds
et avec le temple, furent réduites en cendres.
" Ne furent épargnés que l'autel des sacrifices et
les menhirs qui y restèrent pour témoigner aux genérations
futures les ténèbres épaisses où avait été ensevelie
notre Basse-Armorique, jusqu'à l'époque où
1'Evangile y a envoyé ses rayons bienfaisants."
De ce texte à l'allure ancienne, on pourrait, d'après
certains, déduire l'apport de la religion romaine, la présence
des Romains avec leur " Curia alba " à Kerdanguy
et ailleurs. Toutes les hypothèses sont valables.
Personnellement, je regrette le caractère constamment
anticeltique de la légende dorée. Curia alba pourrait
bien être la garde royale de Lezwenn.
Saint Gouesnou a séjourné auprès de son frère à
Lokmajan. Il semble avoir passé quelque temps à
Kastellourop, que les rubriques transforment en " Collabit".
Une légende nous dit qu'ils travaillèrent chacun
de son bord, à l'éddification de leur monastère. Ils ne
possédaient pas assez d'outils. Pour y compenser, ils
se les échangeaient de Gouesnou à Lokmajan par la
voie des airs. D'où le " bern keuneud mein " (le tas de
bois de pierres), près de la voie celtique, de Dorig an
Ankou... Le monticule s'est formé des morceaux de
mortier tombés de leurs marteaux volants.
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L'auge de Saint Majan
Les Saints bretons dont les vies merveilleuses nous sont racontées par les auteurs anciens, étaient des hommes courageux et intrépides. Ils n'hésitaient pas à affronter une nature sauvage et
austère pour civiliser et évangéliser. La grâce étaient en eux, leur permettant d'accomplir ou de révéler des choses surnaturelles. Mais une des choses les plus mystérieuses les concernant est leur arrivée en Armorique. Ne dit-on pas qu'ils traversèrent la Manche dans des auges en pierre!
Comme tant d'autres, Majan utilisa ce moyen pour venir du lointain Pays de Galles. Ne me demandez pas comment il se tenait dans cette embarcation rudimentaire, ni comment il la propulsait et la guidait. Avait-il une rame, ou dressait-il une voile dans le vent de l'Iroise ? Nul ne le sait. Pourtant, sans nul doute, ces hommes aux talents mystérieux, faisaient confiance à leurs bateaux de pierre dont certains ont longtemps été vénérés, là même ou les Saints les avaient laissés en débarquant.
Majan débarqua d'abord à Brest. Bientôt il reparti vers l'ouest, longeant la côte, en quête
d'un site isolé où il pourrait vivre plus loin des biens terrestres, donc plus près de Dieu. Il contourna la pointe Saint-Mathieu, remonta vers le nord, hésita entre les îles désolées et le continent, pour finalement s'engager dans le second Aber dont l'aspect lui parut propice à l'exaltation de l'âme. Non loin d'une rivière qui se jetait dans l'aber, il rencontra une source et décida que c'était là qu'il vivrait le reste de ses jours. Il bâtit un ermitage, aménagea une fontaine, construisit une chapelle et donna à ce lieu de paix le nom de Lokmajan .
Les années passèrent. La présence du Saint bénit la source qui révéla bientôt des qualités
surprenantes. Son eau soulageait bien des maux, surtout les douleurs de l'âme. Aujourd'hui encore, la source fortifie et guérit les nombreux malades qui viennent avec ferveur chercher ici consolation; mais autrefois, si proche de Majan, ses vertus étaient beaucoup plus puissantes.
Quand Saint Majan mourut, son corps fut mis en terre sous le coeur de sa chapelle.
Près de là son vaisseau de pierre fut utilisé pour aménager la fontaine guérisseuse. L'eau joyeuse
sautait du rocher, se reposait un instant dans la belle vasque où les malades venaient puiser, puis s'écoulait rapidement dans la mer toute proche.
Les années, les siècles s'écoulèrent lentement. C'est ainsi que le temps avait autrefois l'habitude de s'écouler.
Quand les hommes du nord apparurent, ce coin d'Armorique leur plut. Ils voulurent en chasser les Bretons, et établirent un camp près de la fontaine de Lokmajan. A cette époque, la fontaine avait encore le pouvoir de guérir, sans doute la vieille auge y était-elle pour quelque chose. Et puis en ce temps là, la foi pouvait encore remuer des montagnes. Malgré l'occupation étrangère de toutes les terres autour de l'Aber, le peuple breton continuait à venir, en prenant de grands risques, solliciter la grâce de Saint Majan. Les Vikings, païens cruels, en prirent ombrage et détruisirent la fontaine.
L'obscurité normande dura un siècle. Puis les Vikings cessèrent leur raids dévastateurs.
Quelques-uns étaient restés et avaient fondé un foyer avec des femmes de chez nous. Ils s'étaient civilisés. Beaucoup étaient repartis vers leur lointaine patrie.
L'ordre régna de nouveau, avec des forts et des faibles, des riches et des pauvres.
Le seigneur de Pen Ar van avait deux enfants. Elsa, sa fille aînée était belle et
intelligente. Sesni, son fils était malade et chétif. C'était un enfant intelligent, en qui son père mettait tout son espoir pour lui succéder. Mais sa santé fragile laissait craindre que le château resterait sans héritier mâle, ce qui le ferait alors tomber aux mains de la famille voisine des seigneurs de Trouzilit, des vauriens, des fainéants, des profiteurs.
De nombreux médecins du Léon, de Brest, et même de Cornouaille avaient été appelés
au chevet de l'enfant. Tous les guérisseurs d'Armorique avaient été consultés, ainsi que de nombreux mages, imposeurs de mains, cartomanciens, devins et astrologues.
Mais le mal inexorable semblait hors d'atteinte de tous leurs pouvoirs.
Passant un jour par le moulin de Pont-Ours, triste et fatigué, le seigneur de Pen Ar van
s'arrêta près du bief. Des enfants jouaient en chantant une ancienne complainte:
"Dans leurs vaisseaux de pierre
Ils navigaient naguère
Les Saints de nos aïeux
Majan était l'un d'eux
Celui qui souffrait
Celui qui pleurait
Auprès de lui venait
A sa source il se baignait
Et ses maux s'en allaient"
Il écouta un moment puis questionna une fillette
"-Je ne connais pas votre chanson, Qui est Majan?
-Majan est mort il y a longtemps. Grand mère dit que sa source avait autrefois un grand pouvoir de guérison. Malheureusement, l'auge a été perdue. Si on la retrouvait ce serait un grand
bonheur pour tous, car Majan nous protégerait de nouveau de biens des maux."
Le seigneur alla visiter l'ancêtre, vieille femme toute pliée en deux. Elle confirma les propos de l'enfant, ajoutant que ce serait une grande chance pour tous si un puissant seigneur se lançait dans cette quête formidable: la recherche de l'auge perdue.
Dès le lendemain, le seigneur de Pen ar Van se mit à explorer le bord de la rivière.
Bien sûr, il ne vit rien qui ressemblât de près ou de loin à un vaisseau de pierre. Cela aurait été trop facile.
Les grands arbres qui se penchaient sur l'eau s'agitaient dans le vent. On aurait dit qu'ils avaient quelque chose à dire. Certains étaient déjà là quelques siècles plus tôt et avaient été les témoins secrets de la profanation. Ils semblaient insister, bruissant sans relâche, mais personne ne comprenait leur message.
Le seigneur se dit que s'il trouvait un homme capable de parler aux arbres et de les comprendre, il retrouverait l'auge de Majan.
Aujourd'hui, plus personne ne comprend le langage des animaux, des plantes ou des objets. Il n'en était pas de même autrefois. Au fond de certaines forêts, au coeur de certaines landes, ou au flanc de montagnes solitaires, vivaient des êtres à demi sauvages, seuls au milieu d'une nature encore jeune, et pour qui tout ce qui les entouraient étaient source d'échanges et de dialogues.
Le seigneur de Pen ar Van se mit en route vers l'Arrée. Prés des pitons désolés au dessus du Relecq, il trouva un ermite vivant dans une drôle de cabane en ardoises. Il lui expliqua son affaire. L'ermite lui dit qu'il connaissait le langage des pierres, si nombreuses alentour, mais pas celui des arbres car il n'y en avait pas en ce lieu. Il lui conseilla de continuer sa route vers le sud où se trouvaient d'autres montagnes, couvertes d'arbres, où vivait un de ses amis.
Il dirigea ses pas vers les Montagnes Noires, s'enquit auprès des paysans du lieu de
l'endroit où vivait l'ermite, et trouva bientôt sa hutte. L'habitation était entourée d'oiseaux qui
s'envolèrent à son approche. L'homme le reçut et l'écouta attentivement, mais il lui expliqua
que s'il pouvait comprendre et parler aux oiseaux, aux grillons et même aux poissons,
par contre, il ignorait le langage des arbres et des plantes. Il lui conseilla d'aller consulter
son maître dans la forêt d'Huelgoat.
Le maître vivaient sous des roches cyclopéennes dans la forêt. "Je suis l'ami des arbres"
dit-il "Je comprends le langage des pins, des saules et des chênes. Ici ils me parlent d'autrefois,
du temps qui passe. Ils me racontent tout ce se passe dans la forêt. Mais si je m'avance où vivent
les hommes, les arbres crient et pleurent sous les coups de haches ou dans les flammes. Pourtant,
s'il le faut j'irai avec toi au pays des Abers. J'irai questionner les plus vieux des arbres qui ont vu
les hommes, encore eux, détruire l'oeuvre du saint et dissimuler son vaisseau de granit..
Mais il faut me promettre une chose: plus jamais tu ne devras abattre ou utiliser un arbre vivant, que ce soit pour la construction ou pour faire du feu".
La condition ne paraissait pas trop dure. Le Seigneur de Pen ar van n'hésita pas. Solennellement il jura de ne plus blesser ni tuer arbre ou arbuste durant toute sa vie.
"Si tu oublies ta promesse lui dit le sage, ne passe plus jamais sous un arbre, ou près de lui, il t'arriverait un malheur."
Quand le Seigneur revint à Pen ar van, cela faisait déjà un mois qu'il était parti.
Son enfant ne pouvait presque plus se lever. Il respirait difficilement, l'issue semblait prochaine.
A la tombée de la nuit on guida le vieux sage jusqu'à la chapelle de Lokmajan, puis il demanda qu'on le laissât seul. La nuit passa, puis le jour, et encore une nuit. L'impatience des gens du château était à son comble, d'autant plus que l'état de l'enfant semblait s'aggraver doucement.
Enfin, l'ermite revint "Prenez des pioches et des pelles" dit-il. "Si j'ai été si long, c'est que les arbres voulaient d'abord me raconter tout le mal que les gens d'ici leur font. Ils ont tant à raconter ! Mais les arbres ne sont pas rancuniers, ils acceptent d'aider les hommes, espérant un
jour gagner leur amitié". Il les guida ensuite vers le bord de l'aber Benoît et il leur montra l'endroit où ils devraient creuser, dans le lit de la rivière. Les pioches rencontrèrent bientôt un rocher, mais quand il fut dégagé, il apparut que c'était en fait une auge effilée, posée à l'envers. Les hommes remontèrent l'objet volumineux près de la chapelle. Avec des bottes de paille, une charrette fut rapidement aménagée pour permettre de transporter l'enfant devenu si fragile. Bientôt, un
étrange cortège se mit en route, alors que partout alentour, à Castellouroup, au Quinquis, à Meznaot, à Kerboulou et ailleurs, dès qu'ils entendirent parler de l'auge de Majan, les gens se dirigèrent vers Lokmajan pour aller la voir.
Une cérémonie fut bientôt organisée. On avait transporté quelques seaux remplis de
l'eau de la fontaine que l'on avait versée dans l'auge. Alors que la foule se rassemblait en groupes de plus en plus nombreux dans l'enclos et sur les pentes escarpées qui dominent la chapelle, la charrette s'arrêta près de l'auge. Le seigneur de Pen ar Van prit son fils dans ses bras et l'assit au bord du vaisseau de pierre, les pieds dans l'eau. L'enfant rit en remuant les orteils, car l'eau était froide. Le rire léger s'éleva dans le silence recueilli de la foule étonnée. C'était un présage favorable. Le seigneur émerveillé d'entendre ce son merveilleux, presque oublié de sa maison, s'exclama: "Gloire à Dieu, gloire à Majan, mon fils va guérir".
De la foule enthousiaste s'éleva une grande clameur.
Le sage de Huelgoat se pencha sur l'enfant. Il proposa de le remettre sur le lit de paille pour pouvoir l'examiner. Il était un peu guérisseur et savait l'usage des plantes.
Après l'examen soigneux, il se tourna vers le père et lui dit:
"Votre fils va guérir. Pour aider à le fortifier contre la maladie et hâter sa guérison, je vous
apporterais demain un remède souverain".
Pendant plusieurs semaines, l'enfant dut avaler une potion amère. Des couleurs
réapparurent sur ses joues pâles, ses forces revinrent. Il guérit.
L'auge de Majan fut de nouveau scellée sous le jet de la source, et longtemps encore
on puisa son eau pour guérir les malades. Ceux qui le pouvaient venaient y plonger les pieds
et riaient de la trouver si froide.
Quelques siècles plus tard, de cette histoire véridique il ne restait qu'une croyance, celle
d'une banale fontaine miraculeuse. Un seigneur de la région décida de vendre tous les
arbres entre le moulin de Meznaot et Lokmajan pour construire les bateaux du roi.
Une nuit de tempête, l'arbre le plus ancien, un chêne de 600 ans s'abattit sur la fontaine,
brisant l'auge de Majan. Il restait une belle pierre, elle fut amenée au bourg, au Prat. On l'utilisa
pour aménager le dessus d'un nouveau puits qu'on venait de creuser.
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